Et Si...
Dans les moments difficiles (et pour le coup je suis servi), certains passages du célèbre poème de Rudyard Kipling me reviennent à l'esprit. Il est vrai que lorsque tout va bien, on ne porte pas le même regard sur cette oeuvre, que l'on pourrait juger d'un autre temps, ringarde...
Pour le replacer dans son contexte, je tiens à souligner que ce poème a été écrit en 1895, et publié par RK en 1910 à l'attention de son fils adolescent, qui n'aura malheureusement eu que très peu de temps pour être un homme...fauché par la grande guerre. Il a été merveilleusement traduit en 1918 par André Maurois.
J'ai pensé à ce poème juste après ma chute, où j'ai eu l'impression "de perdre d'un seul coup le gain de cent parties" (on dira de 100 sorties), sans un geste et sans un soupir ? Si mes souvenirs sont corrects, malgré la douleur, j'ai tenté d'appliquer ce précepte.
Comme je crois en la chimie des mots, parfois plus puissante que celle des médocs, je vous livre la totalité de "Si'.
Si tu peux voir détruit l'ouvrage de ta vie
Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir,
Ou, perdre d'un seul coup le gain de cent parties
Sans un geste et sans un soupir ;
Si tu peux être amant sans être fou d'amour,
Si tu peux être fort sans cesser d'être tendre
Et, te sentant haï sans haïr à ton tour,
Pourtant lutter et te défendre ;
Si tu peux supporter d'entendre tes paroles
Travesties par des gueux pour exciter des sots,
Et d'entendre mentir sur toi leur bouche folle,
Sans mentir toi-même d'un seul mot ;
Si tu peux rester digne en étant populaire,
Si tu peux rester peuple en conseillant les rois
Et si tu peux aimer tous tes amis en frère
Sans qu'aucun d'eux soit tout pour toi ;
Si tu sais méditer, observer et connaître
Sans jamais devenir sceptique ou destructeur ;
Rêver, mais sans laisser ton rêve être ton maître,
Penser sans n'être qu'un penseur ;
Si tu peux être dur sans jamais être en rage,
Si tu peux être brave et jamais imprudent,
Si tu sais être bon, si tu sais être sage
Sans être moral ni pédant ;
Si tu peux rencontrer Triomphe après Défaite
Et recevoir ces deux menteurs d'un même front,
Si tu peux conserver ton courage et ta tête
Quand tous les autres les perdront,
Alors, les Rois, les Dieux, la Chance et la Victoire
Seront à tout jamais tes esclaves soumis
Et, ce qui vaut mieux que les Rois et la Gloire,
Tu seras un Homme, mon fils.
Rudyard Kipling